HAÏKUS AU FIL DES JOURS

 Jean Giono : Propos sur le bonheur

(extraits de divers ouvrages et chroniques)

Damien GABRIELS

Ce sont les sens qui rendent heureux, et non l’esprit spéculatif.[…] Moi c’est peut être une ombre, un feuillage, le silence, la solitude qui me rendront heureux.[…] Nous ne savons généralement pas jouir de ce qui est et nous suspendons toujours notre bonheur à l’espérance du futur.[…] Je ne vais pas au dépassement de moi-même, je vais au bonheur ; c’est souvent la meilleure façon de se dépasser.
Les terrasses de l’île d’Elbe
 
 
Vous n’imaginez pas comme tout est fait pour le plaisir. Il ne faut rien dédaigner. Le bonheur est une recherche. Il faut y employer l’expérience et son imagination. Rien ne paie de façon plus certaine.
Voyage en Italie
 
 
Très peu de gens vivent dans le présent. Ils habitent le passé, le futur, ou les deux. Les coups, ils les reçoivent deux fois ; les joies, ils les émoussent à l’avance. Ils vivent dans la crainte de malheurs que cette prévoyance démesure, dans l’attente de bonheurs que la distance épuise.
[…]
Notre seule richesse c’est le présent, la minute même ; celle qui suit n’est déjà plus à nous.
[…]
On entend souvent dire : « Si j’avais ceci, si j’avais cela, je serais heureux », et l’on prend l’habitude de croire que le bonheur réside dans le futur et ne vit qu’en conditions exceptionnelles. Le bonheur habite le présent, et le plus quotidien des présents. Il faut dire : « J’ai ceci, j’ai cela, je suis heureux ». Et même dire : « Malgré ceci et malgré cela, je suis heureux ».
[…]
Les éléments du bonheur sont simples, et ils sont gratuits, pour l’essentiel.
[…]
La vie moderne passe pour être peu propice au bonheur. Toutes les vies, qu’elles soient anciennes ou modernes, sont également propices au bonheur.
[…]
Il n’est pas de condition humaine, pour humble ou misérable qui soit, qui n’ait quotidiennement la proposition du bonheur : pour l’atteindre, rien n’est nécessaire que soi-même. Ni la Rolls, ni le compte en banque, ni Megève, ni Saint Tropez ne sont nécessaires. Au lieu de perdre son temps à gagner de l’argent ou telle situation d’où l’on s’imagine qu’on peut atteindre plus aisément les pommes d’or du jardin des Hespérides, il suffit de rester de plain-pied avec les grandes valeurs morales. Il y a un compagnon avec lequel on est tout le temps, c’est soi-même : il faut s’arranger pour que ce soit un compagnon aimable. Qui se méprise ne sera jamais heureux et, cependant, le mépris est lui-même un élément de bonheur : mépris de ce qui est laid, de ce qui est bas, de ce qui est facile, de ce qui est commun, dont on peut sortir quand on veut à l’aide des sens. Dès que les sens sont suffisamment aiguisés, ils trouvent partout ce qu’il faut pour découper les minces lamelles destinées au microscope du bonheur. Tout est de grande valeur : une foule, un visage, une démarche, un port de tête, des mains, une main, la solitude, un arbre, des arbres, une lumière, la nuit, des escaliers, des corridors, des bruits de pas, des rues désertes, des fleurs, un fleuve, des plaines, l’eau, le ciel, la terre, le feu, la mer, le battement d’un cœur, la pluie, le vent, le soleil, le chant du monde, le froid, le chaud, boire, manger, dormir, aimer. Haïr est également une source de bonheur, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une haine basse et vulgaire ou méprisable : mais une sainte haine est un brandon de joie. Car le bonheur ne rend pas mou et soumis, comme le croient les impuissants. Il est, au contraire, le constructeur de fortes charpentes, des bonnes révolutions, des progrès de l’âme. Le bonheur est la liberté.
[…]
Le bonheur ne dépend pas du social, mais purement et simplement de l’âme. […]  La solitude est un bonheur, la compagnie en est un autre. A mesure de l’habitude du bonheur s’installe, un monde nouveau s’offre à la découverte, qui jamais ne déçoit, qui jamais ne repousse, dans lequel il suffit parfois d’un milligramme pour que la joie éclate. Il ne s’agit plus de tout ployer à soi, il ne s’agit que de se ployer aux choses. Il ne s’agit plus de combattre, il s’agit d’aller à la découverte. L’aventure est alors ouverte de toute part. On n’attend plus rien puisqu’on va au-devant de tout, et on y va volontiers, puisque chaque pas, chaque regard, chaque attention est immédiatement payée d’un or qui ne s’avilit jamais, ne se dépense pas, mais se consume sur place au fur et à mesure, enrichissant le cœur et le flux du sang si bien que, plus la vie s’avance, plus on est doré et habillé, et plus tout ce qu’on touche se change en or.
[…]
S’il faut en tout de la mesure, c’est là qu’il la faut surtout : et ne pas croire qu’il soit question de quantités, qu’il soit nécessaire de courir aux confins du monde, ou même de changer de place, que rien ne puisse se faire sans situation, que le bonheur soit l’apanage des premiers numéros. Non : la matière du monde est partout pareille, et c’est d’elle que tout vient.  […]  Le sage cultive ses sentiments et ses sensations, connaît sur le bout des doigts le catalogue exact de leurs possibilités, et s’applique avec elles à utiliser les ressources du monde sensible. Naviguant à sa propre estime entre le bon et le mauvais, prenant un peu de celui-ci pour donner du sel à celui-là, ou l’inverse, cherchant la perle jusque dans l’huître pourrie, la trouvant toujours, puisqu’elle vient de lui-même, il se fait une belle vie et il en profite.
La chasse au bonheur
 
 
Il est incontestable que le plus grand bonheur qu’on puisse atteindre sur cette terre, c’est de rester jeune. Rien ne peut remplacer la faculté d’enthiousiasme.
Angelo
 
 
 



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