HAÏKUS AU FIL DES JOURS

 René Barjavel : "journal d'un homme simple" (extraits)

Damien GABRIELS

 
 
"Au milieu de cette grogne, je me rends compte que je suis un homme heureux. Parce que j'aime la pluie autant que le vent, et le soleil comme la pluie, le froid comme le chaud, l'hiver comme l'été, le pire comme le meilleur. Toujours ce qui est, au lieu de ce qui aurait pu être. Parce que je suis vivant et que je le sais ...
 
Savez-vous bien que vous êtes vivant ? Savez-vous le savoir à tout instant ? Vous êtes une merveilleuse machine à recevoir les joies, celle de la goutte de pluie sur la main comme de la musique ou de la statue, ou de l'ourlet de soleil au bord d'un nuage ou de la fraîcheur d'un fruit ou de l'odeur d'une rose. Ou la joie de respirer.  [...]
Si l'on ne sait pas goûter la joie miraculeuse de voir, alors comment goûter ces bonheurs exceptionnels d'un ciel de nuit de Provence, d'un soleil de printemps sur la Seine, d'une adolescente qui marche, d'un enfant qui rit ?  [...]
 
Comprenez votre chance merveilleuse d'être homme, et prenez ce qui vous est offert. Vivre. C'est-à-dire tenir à tout instant ouvertes les portes que le dieu qui a fait l'homme lui a données pour recevoir l'univers qu'il avait fait autour de lui. Tout est joies à celui qui est éveillé, vivant, présent pour recevoir. Tout est indifférent ou terrible à celui qui subit. Ce qui vous afflige, ce qui s'étend entre vous et le monde, ce qui vous empêche de vous sentir vivant, ce qui vous asphyxie, c'est une couche de sentiments négatifs qui n'ont aucune raison d'être, une fausse conception de la justice.
 
Vous ne devez accepter en vous qu'un seul sentiment : l'amour. Mais ne le confondez pas avec le désir de possession. Vous devez aimer tout, mais rien ne vous appartient. Ce que vous avez  longtemps désiré, pour quoi vous vous êtes longuement battu, peut vous être enlevé au moment même où enfin vous le saisissez. Ne vous lamentez pas ; ne criez pas à l'injustice : rien ne peut être définitivement vôtre, rien n'est stable, rien ne dure. Portez votre amour sur un autre objet et soyez heureux d'avoir touché, si peu que ce fût, celui qui se dérobe. Rien, dans la création, ne vous appartient plus que le soleil qui vous chauffe. Mais tout est à vous si vous savez voir, entendre, toucher, aimer. Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain... Non, ne la convoitez point, mais si elle est belle, aimez-la. Aimez-les toutes. Aimez toutes les fleurs et n'en coupez aucune.
 
A celui qui convoite, tout manque, car les bras de l'homme sont courts, et il ne peut pas beaucoup étreindre. A celui qui aime, l'univers appartient, car il n'y a pas de limites à l'amour. Aimez chaque jour, chaque minute, chaque respiration que Dieu vous donne. Et si le nom de Dieu vous gêne, nommez-le hasard ou évolution, et rendez grâce à ces abstractions de vous avoir fait homme et vivant.  [...]
 
Celui qui aime est riche de tout. Celui qui désire se sent toujours pauvre, car toujours un objet lui manque.
 
J'aurais voulu avoir mille enfants. J'aurais voulu être peintre, musicien, architecte, astronome. J'aurais voulu tout savoir. Je sais seulement que je ne sais rien, hormis que je vis. Et merci à Dieu d'en savoir si long."

 
René BARJAVEL - Journal d'un homme simple
 
 



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